University of Minnesota



Comité contre la Torture, Examen des rapports présentés par les États parties en application de l'article 19 de la Convention, Israël, U.N. Doc. CAT/C/33/Add.2/Rev.1 (1997).




Deuxièmes rapports périodiques des Etats parties prévus en 1996

Additif

ISRAEL



Le présent document contient la version révisée d'un rapport spécial présenté par Israël le 6 décembre 1997, suite à la demande formulée par le Comité contre la torture le 22 novembre 1996. Le deuxième rapport périodique qui sera présenté par Israël sera publié séparément. Pour le rapport initial, voir le document CAT/C/16/Add.4; pour l'examen de ce rapport par le Comité, voir les documents CAT/C/SR.183 et 184 et les Documents officiels de l'Assemblée générale, Quarante-neuvième session, Supplément No 44 (A/49/46), par. 159 à 171.


[17 février 1997]


TABLE DES MATIERES
    Paragraphes
I.
    LES INTERROGATOIRES EN ISRAEL : PRINCIPES ET PRATIQUES
    1 - 3
II.
    LA COMMISSION LANDAU
    4 - 10
III.
    GARANTIES
    11 - 14
IV.
    EXAMEN DES PRINCIPES DIRECTEURS
    15 - 23
V.
    CONCLUSION
    24 - 26


I. LES INTERROGATOIRES EN ISRAEL : PRINCIPES ET PRATIQUES

1. Le mois dernier, la Cour suprême a rendu une décision par laquelle elle annulait l'ordonnance interlocutoire interdisant au Service général de sécurité (SGS) d'exercer des pressions physiques au cours de l'interrogatoire d'un détenu. Comme cette décision a été très controversée et extrêmement mal interprétée par les médias du monde entier, il nous a paru nécessaire de soumettre le présent document afin de clarifier les principes et pratiques d'Israël en matière d'interrogatoire ainsi que la décision susmentionnée de la Cour suprême.

2. Nous tenons à souligner que la législation israélienne interdit formellement toutes les formes de torture ou de mauvais traitement. Le Code pénal israélien (1977) prohibe le recours à la force ou à la violence contre une personne dans le but de lui arracher des aveux ou de lui extorquer des informations au sujet d'une infraction. Israël a signé et ratifié la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

3. L'Etat d'Israël estime que les droits fondamentaux de toute personne relevant de sa juridiction ne doivent jamais être violés, quoi que l'on puisse avoir à reprocher à cette personne. Il se considère aussi tenu de protéger la vie des Juifs et des Arabes contre tout attentat pouvant être commis par des organisations terroristes opérant dans le monde entier. Afin de lutter efficacement contre le terrorisme, tout en assurant la protection des droits fondamentaux des criminels - même des plus dangereux - les autorités israéliennes ont adopté des règles strictes pour la conduite des interrogatoires. Ces principes directeurs visent à permettre aux enquêteurs d'obtenir des renseignements essentiels sur des agissements ou des organisations terroristes auprès de suspects qui, pour des raisons évidentes, ne sont pas disposés à donner spontanément des informations sur leurs activités, tout en garantissant que ces personnes ne seront pas maltraitées.


II. LA COMMISSION LANDAU

4. Les principes directeurs fondamentaux applicables aux interrogatoires ont été énoncés par la Commission d'enquête Landau. Cette commission, dirigée par le juge Moshe Landau, ancien président de la Cour suprême, a été constituée à la suite de la décision prise par le Gouvernement israélien, en 1987, d'examiner les méthodes employées par le Service général de sécurité (SGS) pour interroger les personnes suspectées de terrorisme. Pour formuler ses recommandations, la Commission Landau a étudié les normes internationales en matière de droits de l'homme, la législation israélienne interdisant la torture et les mauvais traitements, et les principes adoptés par d'autres démocraties en butte au terrorisme.

5. La Commission Landau a considéré que sa tâche consistait à définir "aussi précisément que possible les limites de ce qu'il était permis à l'enquêteur de faire et essentiellement ce qui lui était prohibé". Elle a jugé que, lorsque l'on avait affaire à de dangereux terroristes qui constituaient une grave menace pour l'Etat d'Israël et ses citoyens, il était inévitable dans certaines circonstances d'exercer une pression, y compris physique, raisonnable en vue d'obtenir des renseignements décisifs.

Il en est ainsi, en particulier, lorsque les renseignements qu'on cherche à obtenir d'un détenu censé être impliqué personnellement dans des activités terroristes peuvent empêcher un meurtre imminent ou lorsque le détenu possède, au sujet d'une organisation terroriste, des informations cruciales (dépôts d'armes, caches d'explosifs ou actes de terrorisme prévus, par exemple) que l'on ne peut se procurer d'aucune autre manière.

6. La Commission Landau, consciente des dangers que courraient les valeurs démocratiques de l'Etat d'Israël si ses agents devaient abuser de leurs pouvoirs en exerçant des formes de pression inutiles ou excessives, a recommandé que l'on ait recours principalement à des pressions psychologiques et que dans les cas, peu nombreux, où le danger anticipé était considérable, on tolère uniquement une "pression physique raisonnable" (notion qui n'est pas étrangère à d'autres pays démocratiques).

7. Il convient de noter que le recours à une pression raisonnable est conforme au droit international. Ainsi, la Cour européenne des droits de l'homme, invitée à examiner certaines méthodes d'interrogatoire utilisées par la police d'Irlande du Nord contre les terroristes de l'IRA, a jugé que "les mauvais traitements devaient atteindre un certain niveau de gravité pour relever de l'interdiction [de la torture et des peines cruelles, inhumaines ou dégradantes] énoncée à l'article 3 [de la Convention européenne relative aux droits de l'homme]". Dans sa décision, la Cour ne s'est pas associée à l'opinion de la Commission selon laquelle les méthodes susmentionnées pouvaient être assimilées à de la torture, tout en estimant qu'appliquées conjointement (c'est nous qui soulignons), ces méthodes participaient d'un traitement inhumain et dégradant. La question de savoir si, appliquées séparément, ces mesures constituent un traitement inhumain et dégradant a donc été laissée ouverte par la Cour.

8. La Commission Landau était consciente que la question de la pression raisonnable susceptible d'être exercée durant l'interrogatoire était un sujet à la fois grave et délicat. Les principes directeurs permettent des formes limitées de pression dans des circonstances extrêmement précises, à déterminer cas par cas. Ils n'autorisent en aucune manière à faire usage de la force sans discernement. Bien au contraire, ces circonstances particulières ont été déterminées et les pratiques ont été définies avec rigueur, de sorte que, de l'avis de la Commission Landau, "si l'on respecte strictement ces limites, dans la lettre et dans l'esprit, l'efficacité de l'interrogatoire sera assurée et, en même temps, celui-ci sera loin de faire intervenir des tortures physiques ou mentales, des mauvais traitements ou des atteintes à la dignité de la personne interrogée".

9. Pour éviter l'exercice de pressions disproportionnées, la Commission Landau a défini plusieurs mesures qui ont été adoptées et qui sont maintenant en vigueur, à savoir :

i) L'exercice de pressions disproportionnées ne peut être toléré; les pressions ne doivent jamais atteindre le niveau de la torture physique ou des mauvais traitements, ni d'atteintes graves à l'honneur du suspect qui le privent de sa dignité de personne humaine;

ii) Le recours à des mesures moins sévères doit être mis en balance avec l'importance du danger que laissent présager les renseignements à la disposition de l'enquêteur;

iii) Les moyens de pression physique et psychologique auxquels l'enquêteur est autorisé à recourir doivent être définis et circonscrits à l'avance, par la diffusion de principes directeurs ayant force obligatoire;

iv) L'application des principes directeurs établis à l'intention des enquêteurs du SGS doit être rigoureusement surveillée;

v) Les responsables de cette surveillance doivent réagir fermement et sans hésitation à tout écart, en imposant des sanctions disciplinaires et, dans les cas graves, en faisant le nécessaire pour que des poursuites pénales soient engagées contre l'enquêteur qui aurait enfreint les principes directeurs.

10. Après avoir énoncé ces mesures, la Commission Landau, dans une deuxième partie de son rapport, s'est attachée à préciser dans le détail les formes exactes de pression que les enquêteurs du SGS pourraient légitimement exercer. Cette partie du texte a été tenue confidentielle, de peur que les interrogatoires soient moins efficaces si les suspects connaissaient les contraintes étroites imposées aux enquêteurs. Les organisations terroristes palestiniennes enseignent à leurs membres les techniques à employer pour résister aux interrogatoires du SGS sans révéler de renseignements; elles ont même imprimé un manuel à ce sujet. Il va de soi que la divulgation des principes directeurs définis à l'intention du SGS leur permettrait de mieux préparer leurs membres et rassurerait en outre les suspects quant à leur capacité de subir les interrogatoires sans livrer de renseignements cruciaux, privant ainsi le SGS de cette arme psychologique qu'est l'incertitude.


III. GARANTIES

11. Les principes directeurs applicables à l'interrogatoire des suspects étant confidentiels, le Gouvernement israélien a jugé important d'établir des garanties ainsi qu'un système d'examen des pratiques, afin de s'assurer que les enquêteurs du SGS ne violent pas ces principes. C'est ainsi que le Contrôleur du SGS a été chargé de vérifier toute allégation de torture ou de mauvais traitement au cours d'un interrogatoire. De 1987 jusqu'au début de 1994, le Contrôleur s'est acquitté de cette tâche, engageant une action disciplinaire ou judiciaire contre les enquêteurs qui ne s'étaient pas conformés aux principes directeurs. Depuis le début de 1994, conformément aux recommandations de la Commission Landau, il appartient à la Division du Ministère de la justice chargée d'enquêter sur les fautes commises par la police de mener les enquêtes sur les allégations de mauvais traitement, sous la supervision directe du Procureur général.

12. La Commission Landau a également recommandé que les activités du SGS fassent l'objet d'une surveillance externe. Depuis que la Commission a formulé ses recommandations, le Bureau du Contrôleur d'Etat a entrepris un examen de l'unité d'enquête du SGS. Les conclusions de cet examen seront soumises à une sous-commission spéciale de la Commission du Contrôleur d'Etat de la Knesset (Parlement israélien).

13. Il existe en outre un accord entre l'Etat d'Israël et le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) concernant le contrôle des conditions de détention. Les délégués du CICR sont autorisés à s'entretenir en privé avec les détenus dans les 14 jours qui suivent leur arrestation. Les médecins du CICR peuvent examiner les détenus qui se plaignent de ne pas être convenablement traités. Toutes les plaintes formulées par le CICR concernant le traitement des prisonniers font l'objet d'enquêtes approfondies des autorités israéliennes compétentes, dont les résultats sont portés à la connaissance du CICR.

14. En mai 1991, une commission spéciale, formée de membres du SGS et du Ministère de la justice, a été constituée pour étudier des plaintes relatives à la conduite d'enquêteurs du SGS durant les interrogatoires effectués à la Section des enquêtes de la prison de Gaza. La Commission a relevé un certain nombre de cas où des enquêteurs ne s'étaient pas conformés aux principes directeurs relatifs au traitement des détenus. A la suite des conclusions de la Commission, des mesures ont été prises contre les enquêteurs du SGS concernés.


IV. EXAMEN DES PRINCIPES DIRECTEURS

15. Conformément à une recommandation de la Commission Landau, une commission ministérielle spéciale placée sous la présidence du Premier Ministre a été créée en 1988 par le précédent gouvernement pour procéder à un examen périodique des principes directeurs eux-mêmes. Le 22 avril 1993, ladite commission a fait savoir que des modifications devraient être apportées aux principes directeurs applicables aux interrogatoires effectués par le Service général de sécurité. De nouveaux principes ont donc été élaborés et transmis aux enquêteurs du SGS sur la base de ses recommandations. Ils stipulent clairement que la nécessité de recourir à une pression raisonnable doit être déterminée cas par cas, en fonction des circonstances. Ils précisent également que l'utilisation de méthodes exceptionnelles est possible uniquement pour obtenir des informations cruciales, et non pour humilier ou maltraiter les personnes faisant l'objet de l'enquête ou pour leur porter préjudice. Par ailleurs, ils interdisent expressément de priver une personne subissant un interrogatoire de nourriture ou de boisson, de lui refuser l'autorisation d'aller aux toilettes ou de l'exposer à des températures extrêmes. Depuis lors, ces principes ont été réexaminés périodiquement, notamment l'an dernier, sur la base des conclusions tirées de l'expérience récente.

16. Il convient de noter que cet examen se poursuit dans un contexte caractérisé par l'escalade de la terreur. Les années qui ont suivi la signature de l'Accord d'Oslo de 1993 ont été les plus sanglantes que l'on ait connues depuis la création de l'Etat d'Israël. Pendant cette période, des groupes terroristes palestiniens, comme le Hamas et le Djihad islamique, ont fomenté et perpétré des attentats nombreux et violents qui ont tué ou blessé des centaines de victimes innocentes. Depuis la série d'attentats-suicides à la bombe commis dans des autobus et dans des lieux publics afin de terroriser la population locale, il est devenu impératif que les services de défense et de sécurité fassent leur travail aussi efficacement que possible afin d'empêcher de nouvelles attaques de ce type et d'assurer la sécurité de la population.

17. L'an dernier, plusieurs requêtes ont été introduites devant la Cour suprême d'Israël siégeant en tant que tribunal d'instance (High Court) afin que la Cour rende une ordonnance interdisant au Service général de sécurité d'exercer des pressions physiques pendant toute la durée de l'enquête. La Cour s'est prononcée cas par cas au sujet des principes directeurs mis en cause et de leur application. Deux cas en particulier méritent d'être mentionnés.

18. En décembre 1995, suite à une requête introduite par Abd al-Halim Belbaysi contre le SGS (HCJ 336/96), la Cour a rendu une ordonnance interlocutoire interdisant au SGS d'exercer des pressions physiques contre le requérant pendant son interrogatoire. A la demande du SGS, cette ordonnance a été annulée ultérieurement après que le requérant, qui avait signé auparavant une déclaration écrite niant toute participation de sa part à quelque activité illégale que ce soit, eut admis qu'il avait préparé l'odieux attentat-suicide à la bombe commis à Beit Lid, le 22 janvier 1995, lors duquel deux terroristes et 21 Israéliens avaient été tués. Belbaysi a avoué que les trois bombes avaient été fabriquées chez lui, que lui-même les avait cachées à proximité de Beit Lid et que, le jour de l'attaque, il avait remis deux bombes aux deux terroristes qu'il avait conduits lui-même en voiture jusqu'au lieu de l'attentat.

19. Belbaysi a également fourni des informations qui ont permis aux autorités de récupérer la troisième bombe, contenant 15 kg d'explosifs, à l'endroit où elle avait été cachée. Au cours de l'enquête, il est devenu évident que Belbaysi possédait d'autres renseignements concernant l'imminence de violents attentats terroristes en Israël. Le SGS a donc demandé à la Cour d'annuler l'ordonnance interlocutoire afin d'être à même d'obtenir ces renseignements essentiels.

20. La Cour s'est rendue à l'argument de l'avocat du SGS, selon lequel les révélations de Belbaysi pourraient sauver des vies humaines. Elle a donc annulé l'ordonnance interlocutoire. Par ailleurs, la Cour a souligné la nécessité de respecter la légalité en déclarant : "... il va sans dire que l'annulation de cette ordonnance n'autorise pas pour autant les enquêteurs à user de méthodes d'interrogatoire contraires à la loi et aux principes directeurs pertinents".

21. Plus récemment, dans le cas de Muhammed Abdel Aziz (HCJ 8049/96), la Cour a de nouveau annulé une ordonnance interlocutoire, qui avait été rendue contre le SGS, suite à une requête introduite par Hamdan, visant à interdire le recours aux pressions physiques durant l'interrogatoire de ce dernier. Cette ordonnance avait été prise avec l'accord du SGS, lequel avait informé le tribunal que, à ce stade de l'enquête, les agents du SGS n'avaient pas l'intention d'exercer des pressions physiques contre le requérant. Toutefois, moins de 24 heures plus tard, suite à de nouvelles investigations et à des informations additionnelles concernant le requérant, le SGS a demandé au tribunal d'annuler cette ordonnance interlocutoire. Il convient de noter que Hamdan avait déjà été arrêté en 1992, date à laquelle il avait reconnu être un membre actif des cellules du Djihad islamique. A l'époque, il avait été incorporé au groupe d'activité du Djihad islamique et du Hamas qui ont été expulsés vers le Liban. A son retour, Hamdan a été condamné à trois autres mois d'emprisonnement, peine qu'il a achevé de purger à la fin de février 1994.

22. En juillet 1995, le requérant a été frappé d'une mesure d'internement administratif pendant un mois. En mars 1996, il a été arrêté par l'Autorité palestinienne en même temps qu'un certain nombre d'activistes d'organisations terroristes extrémistes. Il a été relaxé en août 1996. En octobre 1996, le SGS a reçu des informations qui ont renforcé ses soupçons, à savoir que Hamdan détenait des informations cruciales, dont la divulgation permettrait de sauver des vies humaines et de prévenir de graves attentats terroristes en Israël, qui semblaient imminents.

23. On en a donc déduit qu'il était absolument vital de poursuivre immédiatement l'interrogatoire. C'est alors que le SGS a demandé à la Cour suprême d'annuler l'ordonnance interlocutoire, estimant essentiel de lever les restrictions imposées par cette ordonnance afin de pouvoir faire pression sur Hamdan pour qu'il divulgue des informations susceptibles d'écarter la menace qui pesait sur de nombreuses vies humaines. L'avocat du SGS a souligné que "... dans le cas présent, le recours à la pression physique est licite". Il a également précisé que les pressions physiques auxquelles le SGS souhaitait recourir ne participaient pas de la "torture", telle que définie dans la Convention contre la torture, que chacune de ces mesures relevait de l'état de nécessité prévu à l'article 34 (11) de la loi pénale et que les conditions d'application de la clause de nécessité se trouvaient réunies dans le cas présent. Au vu des documents confidentiels qui lui ont été présentés par le Service général de sécurité, la Cour a été convaincue que, selon toute probabilité, Hamdan détenait effectivement des renseignements absolument essentiels, dont la divulgation immédiate permettrait d'éviter un désastre et de sauver des vies humaines. Dans sa décision d'annulation de l'ordonnance interlocutoire, la Cour a déclaré ce qui suit : "Après examen des documents confidentiels qui lui ont été présentés, la Cour est convaincue que le défendeur possède effectivement des informations donnant tout lieu de penser que le requérant détient des renseignements absolument essentiels, dont la divulgation immédiate permettra de prévenir des attentats extrêmement graves. Dans ces circonstances, la Cour estime qu'il n'est pas justifié de maintenir l'ordonnance interlocutoire. Il va sans dire que l'annulation de cette ordonnance n'autorise pas pour autant à user, à l'égard du requérant, de méthodes d'interrogatoire contraires à la loi".


V. CONCLUSION

24. En conclusion, nous tenons d'abord à faire remarquer que les interrogatoires et de membres actifs d'organisations terroristes auxquels le SGS a procédé au cours des deux dernières années ont permis de déjouer environ 90 attentats terroristes. Figurent notamment, au nombre de ces derniers, environ 18 attentats-suicides à la bombe, sept attentats à la voiture piégée, 15 enlèvements de soldats et de civils et 60 attentats de types divers, y compris l'assassinat par balles de soldats et de civils, le détournement d'autobus, l'assassinat à coups de couteau d'Israéliens et la pose d'explosifs.

25. L'Etat d'Israël s'enorgueillit d'avoir une société ouverte, dotée d'un système juridique démocratique qui est soumis à un contrôle public et qui respecte les valeurs humaines. Israël possède une procédure unique selon laquelle une instance judiciaire, en l'occurrence la Cour suprême d'Israël siégeant en tant que tribunal d'instance (High Court), est habilitée à examiner les plaintes relatives à des allégations de mauvais traitements ou de torture. Quiconque estime avoir subi un préjudice, qu'il s'agisse d'un citoyen israélien ou d'une personne placée sous la juridiction des autorités israéliennes, peut adresser directement une requête à la Cour suprême siégeant en tant que tribunal d'instance (High Court). Cette requête est portée à l'attention d'un juge dans les 48 heures qui suivent son dépôt. Toute allégation de mauvais traitement est donc prise au sérieux et fait l'objet d'une enquête. Il convient toutefois de faire observer que les personnes arrêtées, jugées ou déclarées coupables ont des raisons tant personnelles que politiques de prétendre avoir été victimes de mauvais traitement au cours des interrogatoires. Parmi les motifs personnels figurent le souhait que des aveux soient déclarés irrecevables durant le procès, la volonté de se faire passer pour un "martyr" ou le désir d'échapper aux représailles des cellules terroristes palestiniennes qui ont souvent assassiné ou torturé des individus ayant livré des renseignements aux autorités israéliennes. Parmi les motifs politiques figure la volonté de nuire à l'image d'Israël ou de discréditer le SGS en formulant des allégations mensongères concernant la violation des droits de l'homme.

26. Il est malheureux qu'en période de troubles politiques et de violence, des restrictions doivent être imposées aux personnes qui menacent la sécurité de l'Etat et de ses citoyens. Le présent rapport tend à démontrer que, bien que l'Etat d'Israël demeure confronté à la dure réalité du terrorisme, les autorités israéliennes ne ménagent aucun effort pour faire respecter les droits de toutes les personnes relevant de leur juridiction, et assurer la sécurité des personnes innocentes.


Annexe

Cour suprême

siégeant à Jérusalem en tant que tribunal d'instance (High Court)

Président : A. Barak

Juges : M. Cheshin et A. Matza

Requérant : Mohammed Abdel Aziz Hamdan

Représenté par : M. Rosenthal (Jaffa St. 33, Jérusalem), avocat

c.

Défendeur : Le Service général de sécurité

Représenté par : le Ministère de la justice (Jérusalem)

Décision

Président A. Barak

1. Le requérant fait l'objet d'une mesure d'internement administratif. A la suite d'un interrogatoire conduit par le défendeur (le Service général de sécurité), il a introduit une requête devant la Cour suprême le 12 novembre 1996, dans laquelle il déclarait avoir été victime de pressions physiques durant l'interrogatoire. Le requérant a demandé que le défendeur expose les motifs l'autorisant à recourir à de telles mesures. Une ordonnance interlocutoire a également été demandée pour interdire le recours à la pression physique en attendant que la Cour rende sa décision.

Le Procureur général a été informé le 13 novembre 1996 que la Cour tiendrait une audience d'urgence le lendemain. L'avocat du défendeur, M. Shai Nitzan, a demandé que cette audience soit reportée car il n'avait pas le temps de procéder aux investigations nécessaires pour pouvoir répondre aux questions soulevées dans la requête. En outre, "selon les renseignements obtenus par téléphone, le défendeur n'avait nullement l'intention, à ce stade de l'interrogatoire, de recourir à la pression physique contre le requérant.

Par conséquent, sans pour autant reconnaître la véracité des faits généraux exposés dans la requête, le défendeur informait la Cour qu'il acceptait que soit émise une ordonnance interlocutoire interdisant le recours à la pression physique contre le requérant en attendant l'examen de la requête".

Sur la base de cette déclaration, une ordonnance interlocutoire a été rendue le 13 novembre 1996, ainsi qu'il était demandé dans la requête.

2. Aujourd'hui, 14 novembre 1996, le défendeur a demandé à la Cour de se réunir d'urgence afin d'annuler l'ordonnance interlocutoire. Pour justifier cette demande, M. Nitzan a déclaré que, dans l'intervalle, de nombreuses investigations avaient été effectuées et que le défendeur avait reçu des informations à jour sur la question examinée. Sur la base de ces renseignements, celui-ci avait décidé de demander l'annulation immédiate de l'ordonnance interlocutoire.

3. Dans sa demande, le défendeur a déclaré qu'en 1992, le requérant avait déjà été placé en détention provisoire pour subir un interrogatoire. Il avait alors reconnu qu'il était un membre actif des cellules du Djihad islamique. A l'issue de l'interrogatoire, il avait été incorporé au groupe d'activistes du Djihad islamique et du Hamas qui ont été expulsés vers le Liban. A son retour, le requérant a été condamné à trois autres mois de prison, peine qu'il a fini de purger à la fin de février 1994.

En juillet 1995, le requérant a été frappé d'une mesure d'internement administratif pendant un mois. En mars 1996, il a été arrêté par l'Autorité palestinienne en même temps qu'un certain nombre d'activistes d'organisations terroristes extrémistes. Relaxé en août 1996, le requérant est resté libre pendant deux mois, jusqu'à ce qu'il soit arrêté le 22 octobre 1996 et frappé d'une nouvelle mesure d'internement administratif, sur la base d'informations selon lesquelles il aurait participé aux activités du Djihad islamique.

4. Le défendeur fait observer dans sa demande que quelques jours avant l'arrestation du requérant, il avait reçu des informations donnant tout lieu de penser que celui-ci détenait des renseignements absolument essentiels, dont la divulgation permettrait de sauver des vies humaines et de prévenir de graves attentats terroristes en Israël, qui semblaient imminents. En conséquence, le requérant a été transféré au centre de détention de Jérusalem pour y subir un interrogatoire.

Les renseignements complémentaires réunis lors de cet interrogatoire n'ont fait que confirmer les informations précédentes et renforcer les craintes d'attentat. Dans sa demande, le défendeur déclare avoir reçu ces renseignements au cours des derniers jours, notamment hier soir, et en conclut qu'il est indispensable de poursuivre l'interrogatoire immédiatement, sans qu'il soit soumis aux restrictions prévues par l'ordonnance interlocutoire. Il est nécessaire de lever ces restrictions pour pouvoir obtenir tout de suite du requérant les informations qu'il détient, et écarter ainsi toute menace pesant sur des vies humaines. Le défendeur estime que, dans le cas présent, le recours à la pression physique est licite. L'article 34 (11) de la loi pénale de 1977 autorise le recours à la pression physique en cas de nécessité.

5. La Cour a examiné cette demande dans la soirée. Elle a entendu les arguments présentés par M. Nitzan, selon lequel les pressions physiques auxquelles le défendeur souhaite recourir ne participent pas de la torture, telle qu'elle est définie dans la Convention contre la torture. M. Nitzan estime également que ces mesures relèvent de l'état de nécessité prévu à l'article 34 (11) de la loi pénale. M. Rosenthal a rétorqué que les enquêteurs du défendeur ne pouvaient pas invoquer l'état de nécessité. Avec le consentement de M. Rosenthal, la Cour a entendu les enquêteurs du défendeur qui lui ont présenté le portrait général que les Services de renseignements ont dressé du requérant.

6. Après examen des documents confidentiels qui lui ont été présentés, la Cour est convaincue que le défendeur possède effectivement des informations donnant tout lieu de penser que le requérant détient des renseignements absolument essentiels, dont la divulgation immédiate permettra d'éviter un désastre, de sauver des vies humaines et de prévenir des attentats terroristes extrêmement graves. Dans ces circonstances, la Cour estime qu'il n'est pas justifié de maintenir l'ordonnance interlocutoire (voir Misc. Appl. HCJ 336/96 Abd Al Halim Belbaysi c. Le Service général de sécurité) (affaire non publiée). Il va sans dire que l'annulation de cette ordonnance n'autorise pas pour autant à user, à l'égard du requérant, de méthodes d'interrogatoire contraires à la loi. A cet égard, aucun renseignement n'a été fourni à la Cour sur les méthodes d'interrogatoire auxquelles le défendeur souhaite recourir, et elle ne se prononce pas sur ce point. Par ailleurs, sa décision ne s'applique qu'à l'ordonnance interlocutoire et ne correspond à aucune position définitive quant aux questions de principe dont la Cour a été saisie et qui concernent l'application de la clause de nécessité. En conséquence, la Cour décide d'annuler l'ordonnance interlocutoire rendue le 14 novembre 1996.

Dont acte :

Le juge A. Matza

Le juge M. Cheshin

Décision rendue le 14 novembre 1996 (3 Kislev 5756) par le Président A. Barak.

Copie conforme à l'original



Page Principale || Traités || Recherche || Liens